C'est l'histoire d'un maître d'école et d'une femme.
Dites-moi, maître, demanda la femme, qu'est-ce qui l'emporte, est-ce le savoir de la femme ou celui du clerc ?
Tout savoir existant, répondit-il, appartient en exclusivité à Dieu et aux clercs.
Nous, reprit la femme, nous possédons un savoir qui fait mourir et fait revivre.
Blasphème ! s'exclama le clerc, il n'y a que Dieu qui puisse faire mourir et faire revivre.
Bon, dit-elle, entendu. Pour sûr, je vous le ferai connaître, ce savoir.
Ne ménagez pas votre peine, répliqua le clerc, tout ce qui est en votre pouvoir, faites le.
La femme laissa passer un certain temps jusqu'à ce que le maître d'école eût oublié la chose. Elle attendit que ce fut son tour de lui porter son repas(1) ; Alors, elle se fit belle et alla le lui porter. Arrivée au bord de la citerne, dans laquelle il y avait six mètres d'eau, elle appela le clerc.
Oui, cria-t-il.
Voici votre déjeuner, Monsieur, dit-elle.
Le maître d'école vint donc chercher son repas. Dès qu'il fut arrivé, voilà qu'elle s'agrippa à lui et poussa des cris.
Mais qu'est-ce que vous faites ? s'exclama le clerc.
Je vais vous faire mourir... dit-elle.
Puis elle lui demanda :
Dois-je vous ressusciter ?
Oui, dit-il.
Alors, dit-elle, laissez-vous tomber dans la citerne.
Le malheureux clerc se laissa tomber dans la citerne. Quand les gens entendirent les cris de la femme, ils accoururent.
Arrivés auprès d'elle, ils lui demandèrent
Qu'est-ce qu'il y a ?.
J'avais, dit-elle, apporté son repas au maître d'école, je l'ai appelé, il est venu le chercher, et voilà qu'il a été pris d'un étourdissement et qu'il est tombé dans la citerne.
Les gens s'avancèrent et retirèrent le clerc de la citerne.
Quand celui-ci eut séché ses vêtements, il annonça à la femme qu'il la citait en justice.
Allez, lui dit-elle, vous avez autre chose à faire.
Pas question, s'obstina-t-il.
Alors, lui demanda-t-elle, je voudrais que vous me donniez de quoi au moins me couvrir. C'est que je suis gênée d'aller chez les gens dans cette tenue.
Le clerc lui donna la pièce d'étoffe dans laquelle il se drapait habituellement, et il resta lui-même en djellaba.
Arrivés chez le cadi, la femme dit à celui-ci
Dieu m'est témoin cet homme a perdu la raison.
C'est bon dit le cadi, expliquez vous.
Pour l'amour du ciel, Monseigneur, s'écria le maître d'école, il faut que vous tranchiez mon différend avec cette femme. Elle m'a appelé en me disant "Voici votre déjeuner" Je suis sorti pour aller le chercher ; alors elle s'est agrippée à moi et a poussé des cris. Je lui ai demandé : "Mais pourquoi est-ce que vous avez fait ça !". Elle m'a répondu : "Je m'en vais vous faire mourir". Au moment où...(les gens allaient arriver), elle m'a demandé "Voulez- vous que je vous ressuscite ?"
"D'accord" lui ai-je dit.
Alors elle m'a ordonné de me laisse tomber dans la citerne. "Je me suis donc laissé tomber dans la citerne", poursuivit-il, les gens sont accourus et ils ont demandé "qu'est-ce que c'est que ça, qu'est-ce qui vous prend ?". Alors elle leur à dit : "J'avais apporté son repas au maître d'école et voilà que je l'ai trouvé qui était tombé dans la citerne".
Qu'est-ce qui est arrivé, demanda le Cadi à la femme, pour que vous ayez fait tomber le clerc dans la citerne ?
Je vous en supplie, Monseigneur, dit-elle, c'est ce que je vous ai dit.
Que m'avez-vous dit ? demanda le cadi.
C'est que, dit-elle, le clerc, ne lui faites aucune confiance car il est fou.
Pas du tout, Monseigneur, s'écria l'autre, je ne suis pas fou.
Si, Monseigneur, insista la femme, il est fou : en effet d'ici pas longtemps, il va même vous dire que ce que je porte là est à lui.
Ben quoi, comment, s'exclama le clerc, à qui d'autre serait-ce, évidemment ? !
N'est-ce pas ? Monseigneur dit la femme, vous voilà arrivé là où je vous avais dit...
Ce que vous avez dit est vrai, reconnu le cadi, le clerc n'a plus sa raison.
Je vous en prie, monseigneur, dit la femme, il faut que vous me donniez quelqu'un qui puisse m'aider à ramener ce clerc pour le soigner avec des plantes jusqu'à ce qu'il soit guéri.
Ligotez-le, ordonna le cadi, aidez cette femme à le ramener.
Dieu m'est témoin, s'écria le maître d'école, que ceci est une pure injustice : depuis quand donc ai-je perdu l'esprit ? (2)
0n emmena le clerc.
Je vous en supplie, demanda la femme, descendez-le dans le silo, et que surtout il ne rompe pas ses liens et en vienne à me tuer.
0n fit descendre le clerc dans le silo. La femme, elle, s'en alla placer le moulin à main à l'ouverture du silo. Alors chaque fois qu'elle tournait la meule, vlan, elle envoyait un seau d'eau au maître d'école. Et celui-ci de gémir : « Aïe aïe aïe, c'est la fin du monde ce déluge ! »
Chaque fois que des gens venaient jeter un coup d'œil sur le clerc, ils l'appelaient :
Maître
Oui, disait-il.
Comment allez-vous, Monsieur ? lui demandait-on.
Mais vous-mêmes répondait-il comment allez-vous ? Est-ce que vous n'avez pas failli être emporter par une trombe, avec cet orage d'hier soir ?
Les gens se disaient : « Ce pauvre maître d'école, sa folie continue à empirer ».
Un jour, la femme l'appela :
Monsieur Mohammed !
Oui, dit-il.
Est-ce que ça vous suffit, ou bien je vous en rajoute ?
Je vous supplie, dit-il, c'est assez Elle fit donc venir les gens. Ils le retirèrent du silo et il regagna sa mosquée (3).
Au bout d'un certain temps le voilà qui dit à la femme :
Il faut absolument que vous rende la monnaie de votre pièce
Entendu, Monsieur, répondit-elle, je vous demande alors d'aller me labourer un potager
D'accord, dit le maître d'école et il s'en alla donc prendre un attelage et labourer.
Lorsqu'elle lui porta son déjeuner, la femme avait le pan de son vêtement rempli de poissons. Quand elle eut posé le déjeuner devant le clerc et que celui-ci eut commencé à manger, (© publié par Tamurth.net)elle s'éloigna et fit semblant de se mettre à ramasser des poissons. Puis elle lui demanda :
Pourquoi labourez-vous sans ramasser ces poissons qui sont dans le sillon ?
Ça alors ! s'exclama le clerc.
Tenez, jetez un coup d'œil, dit-elle.
S'étant levé, voilà qu'il trouva les poissons.
Eh bien, dit-il, emportez-les ; ce soir, vous me les ferez cuire. Quand le maître d'école fut rentré, elle lui servi du pain.
Et où donc, demanda-t-il sont les poissons de tout à l'heure ?
Ça ne va quand même pas vous reprendre, s'exclama-t-elle, ce qui vous est arrivé dernièrement ? Il se jeta sur elle et se mit à la frapper. Elle poussa des cris.
Les gens accoururent et leur demandèrent :
Qu'est-ce qui vous arrive ?
Je vous en supplie, implora la femme, sauvez-moi. Ne nous posez aucune question ni à moi ni à cet homme avant de l'avoir ligoté : c'est que ce qui lui est arrivé dernièrement le reprend à nouveau.
On le ligota.
Eh bien, dit la femme, demandez-lui maintenant qu'est-ce qui lui a pris et pourquoi il s'est mis à me frapper.
On l'interrogea :
Monsieur Mohammed, qu'est-ce qui vous a pris de frapper cette femme ?
Tout à l'heure, dit-il, j'étais allé labourer. Lorsqu'elle m'a eu apporté le déjeuner, elle s'est mise à ramasser des poissons dans le sillon. Je lui ai dit d'aller nous les faire cuire pour le dîner. Or elle les a tous mangés au lieu de les mettre à cuire.
Pour ce qui est de ce clerc, constatèrent les gens ,sa folie ne s'est pas encore dissipée. Faites-le descendre encore dans le silo.
Et le clerc de répéter :
Mais je vous dis qu'il y avait des poissons, aussi vrai que si vous les aviez vus de vos yeux.
Allez, mon pauvre monsieur, dirent-ils, attendez d'être guéri. Et ils le firent redescendre dans le silo.