L'écureuil court, grimpe. Sans cesse en mouvement, attiré semble-t-il par une odeur, une couleur, un bruit particulier. Gai, insouciant, vif, surprenant.
Le hérisson l'observe souvent. Il constate qu'outre cette tendance à toujours avoir la bougeotte, ce bel animal accumule de la nourriture un peu partout dans la forêt. Que de fruits secs cachés en mille et uns endroits ! La souris profite bien souvent de cette habitude pour se nourrir à peu de frais. Elle aussi observe l'écureuil. Elle s'amuse de son comportement. Contrairement au hérisson, elle ne se torture pas les méninges pour chercher une explication à tant d'agitation et à tant de provisions accumulées.
Le hérisson, peureux, anxieux, s'interroge et interroge les bêtes les plus inoffensives qu'il rencontre. Parmi ses connaissances, il y a le blaireau, celui-là même qui, pour se défendre, trouve moyen d'envoyer aux importuns une odeur pestilentielle. "Dis-moi donc blaireau, pourquoi l'écureuil juge-t-il bon d'accumuler ainsi sa nourriture ? Pourquoi fait-il de telles réserves ?"
"Franchement, je ne me suis jamais posé la question. J'ai bien assez avec mes propres soucis. Je ne m'inquiète pas de ses excentricités. C'est qu'il y en a des êtres bizarres ici. T'es-tu demandé pourquoi le sanglier se roule tellement volontiers dans la boue comme s'il se prélassait dans une eau pure ?" Telle est la réplique empreinte d'une certaine sagesse de blaireau.
"J'ai entendu dire que des bestioles se nichent dans ses poils épais, s'y réchauffent à plaisir, y trottinent, lui occasionnant quelques démangeaisons. Cet être rustre, n'ayant pas l'idée de demander à l'un de nous de lui gratter le dos, apaise ainsi ses démangeaisons. C'est ce qu'on dit et cela me paraît possible."
Mis en confiance, le blaireau ose pousser plus loin la conversation : "Tiens, explique-moi pourquoi tu te roules si souvent en boule, brave hérisson ?"
Le hérisson se confie : "C'est que je suis froussard. Je me protège comme je peux. Ne suis-je pas impressionnant, quand je suis roulé en boule, pareil à une pelote d'aiguilles et d'épingles ?"
"Peut-être que l'écureuil a peur de manquer de nourriture, tu ne crois pas ?" répond le blaireau gêné d'avoir amené le hérisson à livrer un tel secret.
"Je ne le pense pas. Quand on est sympathique comme lui, on doit se trouver facilement des amis en cas de nécessité. Je suis sûr qu'il y en aurait plus d'un, disposé à lui offrir de la nourriture s'il le demandait." Sur cette réflexion, le hérisson demeure pensif. Ô qu'il envie cet écureuil incroyablement beau, joyeux, aimé de tous.
La souris qui a tout entendu et qui se mêle volontiers de ce qui ne la concerne pas, ne résiste pas à la tentation d'intervenir de manière judicieuse. Elle murmure : "Mais hérisson, si cela te préoccupe tant, demande donc à l'écureuil pourquoi il fait de telles provisions qu'il dissimule partout. Il n'est pas farouche pour un sou. Il sera trop heureux de te satisfaire. En plus, tu seras vraiment sûr de la réponse."
"C'est vrai. Demande-lui et informe-nous. Tu as aiguisé notre curiosité, à toi de l'assouvir", repartit le blaireau en riant sous cape. Car peureux comme il l'est, le hérisson osera-t-il un jour interroger le sémillant écureuil ?
Et bien oui, il osa. Et la réponse le laissa pantois : "Je suis tellement distrait mon ami, que j'oublie où je range tout. Alors en multipliant les lieux, il me paraît que j'ai plus de chance de ne jamais rester sur ma faim. Pas la peine de t'inquiéter pour moi. Tu vois, je ne suis pas maigre et je ne manque pas d'énergie. Il faut dire que contrairement à toi, ma nourriture n'est pas constituée de pauvres insectes innocents. Je suis végétarien. Ma nourriture se conserve parfaitement là où je la mets. Ne devrais-tu essayer d'agir comme moi à l'avenir ? Juste pour me plaire davantage !"
Sur ce, le hérisson se roula en boule non parce qu'il se sentait menacé par l'écureuil mais parce qu'il était troublé de ce qu'il avait entendu.