"Mon vase que j'aimais tant, Jojo, c'est toi qui l'as cassé", dit maman, toute triste, devant son beau vase en mille morceaux.
Jojo la regarde, interdite.
"Non, maman, c'est pas moi", crie-t-elle avec un tel accent de sincérité que maman, instantanément, la croie.
"C'est des voleurs", dit jojo, "je les ai vus. Regardes maman", dit jojo, en montrant à sa mère par la fenêtre, un couple qui s'éloigne d'un pas pressé.
"Aux voleurs", crie maman par la fenêtre.
Des gendarmes, de faction dans la rue voisine, se précipitent, lèvent les yeux vers la fenêtre, regardent en direction du doigt tendu de maman, voient le couple, hagard, qui s'est retourné, leur sautent dessus et les emmènent dans le panier à salade.
Maman, convoquée, discute avec sa petite jojo : "tu es bien sûre, ma jojo, car, tu sais, c'est grave, si c'est eux qui ont cassé mon vase, on va les mettre en prison et il ne faut pas que tu te trompes de personne".
Jojo, ça l'embête qu'on mette des gens en prison à cause d'elle; alors, elle réfléchit et avoue :
"Maman, je me suis trompée : ce ne sont pas des voleurs qui ont cassé le vase mais c'est tellement incroyable que j'ai eu peur que tu ne me croies pas".
Maman la regarde, attentive.
"En fait, c'est des papillons, comme les guêpes, tu sais, quand papa les avais aspirées avec l'aspirateur géant et qu'elles avaient formé une grosse boule dans l'arbre. Eh bien, c'est pareil : avec des papillons de toutes les couleurs; ils formaient une grosse boule et ils tournaient, ils tournaient; ils se sont précipités sur le vase, peut-être à cause de toutes ses couleurs, ils ont du croire que c'était un papillon géant. Ils ont tapé dans le vase avec un drôle de bruit comme font les oiseaux quand ils ne voient pas la vitre du salon. Le vase est tombé et ils se sont 'parpillés' partout dans la pièce et ils sont partis dehors juste avant que tu n'arrives".
Maman, qui a vu des émissions à la télévision sur les changements climatiques et toutes ces nouvelles races d'insectes, de chenilles et de papillons tropicaux qu'on commençait à trouver là où on ne les trouvait pas auparavant, ne doute pas un instant de ce que lui dit sa jojo et court chez la supérette voisine, acheter une armada de produits insecticides à effet de serre pour bombarder tout papillon à des kilomètres à la ronde, non sans passer à la gendarmerie expliquer la méprise de sa fillette. Cependant, par on ne sait quelle pudeur, elle n'explique pas aux gendarmes l'histoire des papillons. Après tout sa jojo a peut-être raison, s'ils ne la croyaient pas, ça avait l'air tellement extraordinaire, surtout s'ils n'avaient pas vu l'émission à la télévision.
Maman montra, toute fière, à sa jojo, les bombes aux noms guerriers et aux images d'insectes prédateurs et entreprit consciencieusement d'empuantir la maison.
"Arrêtes, maman, tu vas nous astiquer, …fixer, …attifer", cria jojo, dans sa précipitation, c'est pas les papillons".
Maman se retourne et la fixe droit dans les yeux.
Jojo soutient son regard, comme hypnotisée, et articule : "c'est un chat, un chat… énorme et … invisible."
Maman la regarde longtemps puis un gentil, très gentil sourire éclaire peu à peu son visage. Elle dit à sa jojo en le prenant dans ses bras : "ma jojo que j'aimais tant, ma pauvre jojo qui voit des chats invisibles, ça y est, elle est folle, je m'en doutais; il va falloir t'enfermer, mais tu verras, on s'occupera bien de toi dans la maison des fous, tu seras avec d'autres comme toi, et papa et maman et même tes sœurs viendront te rendre visite de temps en temps. Tu verras, ça ira, c'est juste un moment difficile à passer et très vite tu oublieras tout."
Maman téléphone pour faire emmener sa petite au plus vite.
Jojo se dit : cette fois, il faut que je trouve une idée mais une bonne idée; si je racontais que … non, ça va pas ou alors…, non, oh la la non…, peut-être que… si… ça y est, "maman, c'est moi qui est cassé le vase mais j'ai pas fait exprès."
"Ma jojo, oh, je ne suis pas contente que mon vase soit cassé mais il fallait me le dire, je ne t'aurais pas grondé, pourquoi tu ne me l'as pas dit ? Ca arrive d'être maladroit, même maman est maladroite. Et tous ces mensonges, quelle histoire ! Mais, quelle histoire !"
Jojo promet de ne plus mentir.
Quelques temps plus tard.
"Jojo, tu as encore cassé un vase, mais qu'est-ce qu'elle a cette enfant avec mes vases ?
-- Mais non, maman, c'est pas moi, c'est le chat des voisins, je t'assure.
-- Ah, non, tu ne vas pas recommencer, je sais que c'est toi maintenant, tu es une vilaine menteuse", dit la maman qui n'a pas été sur psychologies.com, vu qu'elle est nulle en informatique et que, donc, elle ne sait pas qu'on ne traite pas sa fille de menteuse ou d'aucun nom d'oiseau et qu'on dit : 'ce n'est pas bien de mentir'.
Jojo éclate en sanglot : "C'est pas juste."
Arrive le papa : "tiens, je viens de voir le chat des voisins, il filait comme s'il venait de commettre une mauvaise action; je n'aime pas ce chat.
-- Oh, moi qui aie accusé à tord jojo d'avoir cassé mon nouveau vase, viens ma jojo, viens contre mon cœur."
Et jojo se met sur les genoux de son papa et de sa maman et ils se font un gros câlin.