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Le départ  Format imprimable  Format imprimable (pour imprimer le conte)

Ses deux sacs gisaient à ses pieds dans la chambre, merveilleusement propres, carrés, ficelés. Lentement, il s'était habillé des vêtements qu'il avait soigneusement choisis pour le voyage, avait fait glisser sa ceinture de cuir noire dans laquelle dormaient quelques liasses de beaux traveller's chèques, avait chaussé ses belles baskets montantes, neuves, trop neuves. Déjà, il les imaginait, vieilles et ridées, usées, tannées, vivantes de six mois d'errance au pays des dieux et de la misère. Il avait peur de ce voyage, peur de devoir affronter, un par un, patiemment, les mille problèmes, les mille soucis mais aussi les joies, les découvertes, les surprises qui ne manqueraient pas de jalonner sa route. Il s'était préparé aussi minutieusement que son caractère lui permettait et, à l'heure du départ, il ressemblait à un petit fils bourgeois et timide qui s'apprêtait à livrer le combat de sa vie. Rien ne pourra jamais être tout à fait pareil maintenant, les dés étaient lancés, il foulerait de ses pieds les contreforts de l'Himalaya, la plaine du Gange, le désert du Rajasthan, il s'enivrerait de visions fabuleuses, il goûterait aux odeurs d'épices, il s'abreuverait de visages merveilleux. Il rejoignit sa famille dans la cuisine.

Quand ils le virent entrer, tous adoptèrent l'air mi-réjoui, mi-inquiet de rigueur. Pierre sourit et s'approcha pour leur dire au revoir. De voir tous ces visages connus tendre vers lui, de sentir leurs craintes, leur résignation à le voir partir seul et si loin, de se sentir lui-même plein de volonté et de courage, pourtant encore fragile et timoré, il reçut la situation comme une gifle et tout se mit à tourner dans sa tête. Il dut faire un effort pour reprendre ses esprits et ne pas sombrer tout à fait. Il embrassa sa mère, son père, puis sa soeur en évitant soigneusement leurs regards. Il se retourna et s'enfuit prendre son train en essayant de ne plus penser.

Le train filait vers Paris. Pierre n'avait pas eu de mal à trouver un compartiment libre pour s'y allonger. Il n'avait pas envie de dormir. Les deux mois de préparation venaient de voler en éclats, et pour la première fois depuis, son esprit était vide, libre. Son coeur ne se contenait plus. Il partait.

Oh, il avait bien déjà flirté avec un voyage de fin d'année en Autriche, avec ses camarades de classe, tenté une aventure d'une semaine au Maroc, en voiture, sous la conduite d'un ami qui y était déjà allé. Mais cette fois, il s'engageait vraiment, seul, et pour longtemps. Un peu, aimait-il à penser, à la manière de ces alpinistes qu'il admirait tant, partis à la conquête de cimes inviolées. Bien sûr, en 1986, partir sur les chemins de Bénarès ou de Katmandou ne constituait plus depuis longtemps un exploit, même s'il avait constaté, avec secrets délices, que son départ forçait le respect des plus téméraires de ses amis. Comment pouvait-il, lui si effacé, si influençable, relever un tel défi ? En était-il capable ? On allait bien voir.

En fait, Pierre n'avait jamais pris la décision de partir. C'eut été trop lourd à assumer, un coup fatal porté à une confiance encore fragile. Non, il s'était plutôt arrangé pour se mettre, semaine après semaine, devant le fait accompli. Par exemple, il avait d'abord fait part de son intention à des collègues, des membres de sa famille, comme ça, pour tester leurs réactions, mettre à l'épreuve sa détermination. Puis, il avait acheté un guide de voyage pour s'informer des détails pratiques et des démarches à entreprendre. Dans son élan, il était même allé jusqu'à établir un itinéraire, avec les sites à ne pas manquer et les adresses des meilleurs hôtels. Plus tard, il s'était retrouvé dans le cabinet d'un médecin pour se faire prescrire les médicaments nécessaires, et se faire vacciner. Après tout, ça ne l'engageait pas encore. Alors, quand il prit sa voiture un matin pour se rendre chez un voyagiste de Grenoble, il pensa bien que là, il dépassait un peu les bornes. Mais la journée était belle, sans nuages, et cela ne coûtait rien de se renseigner. Dans la rue, il eut bien quelques hésitations avant de pénétrer dans l'agence. Mais quand une secrétaire s'enquérit auprès de lui et l'invita à s'asseoir à son bureau, il se laissa faire et lui répondit comme dans un rêve. Oui je veux bien un aller et retour Paris-Delhi. Oui avec retour open et escale à Koweït. Le prix, l'assurance. Tous les détails furent réglés. Une fois dehors, un sentiment de fierté l'envahit, vite accompagné d'une envie panique de se rétracter. Il ne lui manquait plus que le visa.

S'il jouissait, cette nuit là dans le train, d'une délicieuse sérénité, Pierre savait cependant qu'il jouait gros. Il lui faudra être plus indépendant, plus responsable qu'il ne l'avait jamais été. Tout avait été réuni, matériellement, pour se débrouiller seul dans ce grand pays. Son esprit était aiguisé, prêt à en découdre. Il ne lui restait plus qu'à interpréter la partition.

Le train venait de sortir des derniers méandres alpins et prenait de la vitesse. Tout s'accélérait. Chaque minute qui passait le rapprochait du moment fatidique où le rêve fou se transformerait en réalité. En somme, un saut dans l'inconnu.

En se retournant, vers l'ouest, Pierre contemplait par le hublot les derniers rougeoiements du ciel. Devant, le rideau noir de la nuit venait d'être tiré. La fatigue mêlée d'inquiétude lui interdisait maintenant toute velléité de sommeil. La perspective d'atterrir à Delhi après minuit n'était pas réjouissante, et le voyage avait déjà été long et pénible. Cependant, il ne pouvait empêcher une certaine satisfaction. Se retrouver, au terme d'un banal saut de puce, transporté dans une des plus fascinantes cultures de l'orient lui semblait outrageant. Il était normal, souhaitable même d'avoir à surmonter quelques épreuves pour mériter ce privilège. Cela donnait de la valeur à l'entreprise, lui conférait un sens magique. Autant dire que la quelque quinzaine d'heures de retard infligée jusqu'ici ne laissait présager que du bon. Enfin l'espérait-il.

Tout avait pourtant commencé de façon idyllique. Ce fut d'abord l'excitation et l'émotion d'un premier vol en avion. Puis, à la blancheur étincelante des montagnes alpines avait succédé le bleu intense de la Méditerranée, avant une brève escale à Rome. Mais à Koweït, une tempête de sable avait contraint l'appareil à se poser plus au sud, à Bahreïn, où ils avaient passé une partie de la nuit dans un hôtel près de l'aéroport. Au matin, ils avaient pu rejoindre Koweït avant de s'envoler à nouveau vers leur destination. Tout cela au prix d'interminables heures d'attente.

L'avion ronronnait paisiblement dans la nuit. Tout était calme. Les hôtesses avaient momentanément disparu et il régnait une sorte d'attente fébrile dont Pierre ne savait dire si elle était réelle ou la conséquence de sa propre angoisse. Soudain, l'appareil fit un bruit étrange et fut pris de légères secousses. Un steward s'approcha pour ouvrir un casier et le refermer aussitôt avec force. Deux hôtesses remontèrent l'allée rapidement. Cette agitation semblait annoncer un événement qu'il attendait avec crainte et impatience. L'avion s'ébroua à nouveau et les lumières au-dessus des passagers furent rallumées. Cette fois le doute n'était plus permis. La descente était bel et bien amorcée.

Quelques minutes plus tard, l'avion avait considérablement réduit sa vitesse et préparait son atterrissage. Pierre était impressionné par les premiers paysages qu'il découvrait à travers le hublot, et sondait déjà leur étrangeté. Les lumières étaient jaunes, blafardes. La terre ressemblait partout à une sorte de terrain vague et quelques rares véhicules glissaient le long de ces bandes de lumières qu'étaient les routes de l'agglomération. Quelques maisons basses sans allure étaient appliquées ci et là. Il se dégageait de l'ensemble une impression de pesanteur. Son coeur se mit à battre très fort.

Il était plus d'une heure du matin quand Pierre tendit son passeport au policier. Celui-ci le feuilleta et l'examina longuement, puis appliqua consciencieusement son tampon, nullement impressionné par la queue interminable qui grondait et se perdait hors de vue dans un autre couloir. Avec ses belles moustaches et son air solennel, il imposait le respect, même si sa tenue vestimentaire faisait montre d'un laisser-aller inhabituel au regard de la fonction. Quand son passeport lui fut rendu, Pierre pénétra dans le grand hall où les premières valises défilaient déjà sur le tapis roulant. C'était une salle sombre, sommaire, imprégnée d'une odeur indéfinissable. Il ne voyait nulle part ces baies vitrées qu'on lui avait décrites dans certains livres, derrière lesquelles grouillaient et s'agglutinaient des centaines de personnes, curieuses et avides de voyageurs fraîchement débarqués. Il en fut soulagé. Il avait entendu dire que certains touristes sont si effrayés en arrivant ici qu'ils s'en retournent chez eux sans même franchir la porte de l'aéroport. Il n'entendait pas échouer si lamentablement. Il tiendrait bon.

Après avoir récupéré ses bagages et changé quelques billets, il se sentait prêt à affronter l'extérieur. Machinalement, il leva la tête vers la sortie et stoppa net. Une multitude de visages étaient en train de le guetter, de l'observer, collée derrière la vitre de l'aéroport. Le livre n'avait pas menti. Il allait être offert en pâture à la foule. Il ajusta son sac sur ses épaules et, pas rassuré du tout, s'avança vers la sortie.

L'air était frais, parfumé, encore empreint de la douceur de la journée. Au milieu d'une foule affairée, il avait posé son sac et se tenait debout sans trop savoir quoi faire. Un jeune indien avait investi l'espace autour de lui et revenait régulièrement à la charge :

– Monsieur, vous voulez un hôtel ? Je connais un bon hôtel. Pas cher. 20 roupies seulement.

Pierre bredouilla un refus timide, puis entreprit de l'ignorer, sans y parvenir vraiment. L'obstination sans faille du jeune garçon s'en trouva confortée. Que fallait-il faire ? Les guides de voyage l'avaient prévenu : "Si vous arrivez de nuit, faites attention aux arnaqueurs, ne cédez à aucune avance". Il décida d'attendre un groupe de français qu'il avait rencontré pendant les longues heures d'attente à Koweït. Peut-être pourrait-il partager avec eux un taxi pour se rendre au centre de Delhi et de là, chercher un hôtel.

– Monsieur, un très bon hôtel. De première classe. Venez. Vingt roupies seulement.

Les minutes passaient. Une rangée de taxis attendait non loin et les chauffeurs lançaient des regards interrogateurs vers de potentiels clients. Toujours plus de voyageurs sortaient de l'aéroport et l'effervescence enflait autour de Pierre. Il s'impatientait. Le groupe de français tardait à apparaître. Combien de temps allait-il devoir attendre ? Il était désorienté et fourbu, attiré malgré lui par l'offre alléchante que le jeune garçon psalmodiait à intervalles réguliers. Il décida de s'assurer que l'hôtel était situé au centre-ville et lui fit répéter son prix dérisoire. Puis il fit mine de se désintéresser à nouveau. Quelque chose bouillait à l'intérieur de lui. Il s'irritait. Pourquoi attendait-il ? Avait-il fait tout ce chemin pour finir par rechercher l'aile protectrice du groupe, diluer sa peur dans un bienveillant et familier cocon national ? C'était son voyage. Il l'avait voulu plus que tout, et au bord du grand bain, voilà qu'il chipotait en trempant timidement le bout du pied. Non. Il fallait plonger direct, se mouiller tout de go. Son sang ne fit qu'un tour. Il n'eut pas le temps de dire un mot. Un regard. Un geste de la main imperceptible. Il n'en fallait pas plus pour le jeune indien, sa proie était ferrée. Des voix fusèrent autour de Pierre. Un compère sortit de l'ombre et se lança dans un palabre incompréhensible avec son ami. Puis ils l'intimèrent de les suivre. Il agrippa son sac et s'élança à la suite des deux hommes qui s'éloignaient déjà en le pressant. Son attente inhibée se transmua aussitôt en un abandon résolu. In cha'Allah. Les premiers rouages de la grande machine indienne se mettaient en branle et l'entraînaient irrémédiablement dans la nuit.







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Isabelle de contes.biz