La nuit de Noël en Provence, P'tit Piero ira à la messe à l'abbaye St Michel du Frigolet. C'est son père qui éclairera le chemin dans la montagnette. Ils marcheront longtemps le ventre vide, ils sont pauvres et n'auront que de l'Aïgo Bolido ce soir. Au retour de la messe, ce sera le coucher puis la vie reprendra son cours si triste demain, le Père Noël ne passera pas à la ferme, il ne voit pas la maison des pauvres dit Maman.
Après le bouillon fait d'eau et de gousses d'ail avec un méchant bout de pain noir, le Père met sa canadienne, Piero sa pèlerine et maman son fichu noir et les voilà partis à travers champ vers la belle abbaye dans la montagne. Piero court, il a si peur de perdre de vue son Père et surtout d'être seul dans le noir. Le mistral souffle fort, il fait si froid, alors il serre sa cape autour de lui et avance en rentrant la tête dans les épaules. Ne pas perdre de vue la lumière! Pourtant la route est longue, et le chemin difficile dans la garrigue. Il tombe plusieurs fois, se relève mais le petit Jésus lui l'attend là-bas dans la crèche, petit bébé tout rose et potelé et Mr le Curé le lui a dit, il a tant souffert pour lui que ses bleus et sa faim sont bien peu de choses.
Enfin, l'abbatiale apparaît au fond du vallon, toute illuminée et en s'approchant, P'tit Piero voit les habitants des alentours qui se pressent à ses portes. Il y a même Mr Gendre, le Maire de Barbentane. Le Père souffle "si ce n'était pas Noël, j'irais lui dire ce que je pense, à cet affameur;" Papa n'a plus de travail depuis que Mr Gendre a racheté la fabrique de cierges et a licencié les anciens employés qui étaient" trop émancipés" à son goût et en a rengagé d'autres plus souples.
La famille entre dans la nef si belle avec ses pierres blondes, ses oriflammes, ses femmes en costume d'arlésienne et les hommes avec leur chapeau de feutre et leur veste de velours. Ils n'auront droit qu'aux places du fond avec les plus pauvres, c'est ainsi à la fin de ce 19ème siècle même pendant la nuit de Noël.
P'tit Piero écoute de toutes ses forces Mr le Curé. Il raconte la naissance de cet enfant qui était pauvre lui aussi, il parle d’aimer son prochain, d’être charitable, d’avoir la Foi comme celle de ces bergers venus saluer cet Enfant Dieu. Et P’tit Piero se dit que lui, là le Jésus couché dans la paille de la crèche, il était un peu comme lui mais plus petit.
« Demandez et vous recevrez » dit le curé. A cet instant Piero regarde son Père …et lui si fort, si dur au travail, lui, essuie une larme sur sa joue râpeuse. Piero lui serre fort la main comme pour lui dire : je suis là, moi et je t’aime. Le Père se redresse confus de cet instant de faiblesse.
« Ite missa est » et l’assemblée sort de l’abbatiale dans la nuit froide. Tous se souhaitent un bon Noël et de bien manger le gros souper. L’enfant lâche la main de sa mère et court dans l’église encore éclairée par toutes ses chandelles que déjà les moines commencent à moucher. Il court devant la crèche et se met à genoux et alors qu’un moine s’approche pour le faire sortir, il entend Piero prier :
« Petit Jésus, Mr le Curé dit que tu vois tout, que tu sais tout. Je sais que je n’aurais pas de friandises à Noël ni de gros souper mais je t’en prie, fais que mon papa ne pleure plus jamais et je te le promets, je ne ferai plus jamais de bêtises. Amen »
Le moine ému, lui met la main sur l’épaule, « il faut partir maintenant Piero, d’ailleurs voici ton père qui te cherche. Ne le grondez pas, Mathieu, il avait une dernière prière au Petit Jésus à faire, joyeux Noël mon frère »
« Merci mon frère, joyeux Noël à vous aussi, quant à toi Piero, il faut rentrer maintenant, le chemin est encore long jusqu’à chez nous. »
Et voilà notre famille qui repart dans la nuit et le froid, parmi les ombres de la montagnette. Le vent souffle de plus en plus fort et P’tit Piero a bien du mal à avancer. Alors, le Père le prend dans ses bras et l’emporte. Dans la chaleur contre son père, l’enfant trouve le réconfort et s’endort.
Le soleil joue dans les rideaux, Piero ne se souvient pas de s’être coucher. Il fait chaud sous l’édredon, il a envie de paresser un peu mais…quelle bonne odeur de pain chaud et frais et puis autre chose qu’il ne connait pas !
N’y tenant plus il se lève et entre en trombe dans la salle commune et là… miracle, un énorme missu(1) est sur la table plein de bonnes choses à manger et maman est en train de faire des tartines avec du beurre et il y a des bols avec un liquide brun qui sent bon.
« Maman, c’est quoi tout ça ? »
« Ce matin c’était devant la porte et c’est ton père qui l’a rentré. Tiens, du chocolat tu verras tu aimeras. »
Impatient, il goûte le breuvage chaud et sucré, que c’est bon ! Et les tartines beurrées, miam-miam. « Mais où est le Père, demande-t-il s’apercevant soudain de son absence ? »
Maman Rit et dit tout à son bonheur retrouvé : « Le supérieur de l’abbaye l’a fait appeler, il a du travail pour lui dans les champs et il sait comme ton père est bon travailleur et bon chrétien. »
Alors P’tit Piero suspend sa mastication, stupéfait et dit à sa mère :
« Alors c’est vrai qu’il sait tout le Petit Jésus. ».

(1) panier en osier en Provence