Les contes pour enfant du monde

Une fille têtue



Halima n’avait qu’une peur, c’était d’épouser cet homme qu’on voulait lui imposer et qu’elle trouvait très laid. Elle s’en plaignait à ses amies du village et plus la date du mariage approchait, plus elle réfléchissait à une manière de s’y soustraire. Tomberait-elle malade ? S’enfuirait-elle un matin quand le soleil serait à peine levé ? Implorerait-elle la clémence de sa grand-mère qui l’avait élevée et qui pourrait comprendre son refus ?

Il fallait en tous cas trouver d’urgence une solution !

Un jour où elle étalait sa résolution devant ses compagnes, un serpent génie qui passait derrière la case où se tenaient les jeunes filles, surprit ces propos. Il comprit qu’il avait là une bonne occasion de jeter un mauvais sort à un de ces humains qu’il trouvait entêtés et stupides. Voilà donc notre serpent-génie transformé en un beau jeune homme qui vint demander la jeune Halima en mariage.

La jeune fille, folle de joie, trouva tout de suite ce beau prétendant à son goût. Elle n’eut pas de mal à convaincre son père de l’accepter pour gendre, en insistant sur la beauté et les richesses que prétendait avoir le nouveau venu.

Mais sa grand-mère était elle-même sorcière : elle savait se méfier des occasions trop belles que savent provoquer les génies pour éprouver la race des hommes ordinaires. Elle fit donc à sa petite fille des recommandations pleines de sagesse et lui conseilla de ne pas se fier aux apparences. Mais devant son entêtement, elle dut se contenter de lui donner une recette pour avoir la preuve qu’en épousant le beau jeune homme, elle épousait un humain et non un génie.

Pile du mil pour en faire une boule, dit-elle à Halima. Si cette boule, la première que tu auras faite, ne se brise pas, c’est une personne normale que tu vas épouser ; sinon, sache que c’est un génie qui est venu te provoquer.

Halima fit ce que proposait la grand-mère. Elle mit tout son cœur à piler le mil, jusque tard dans la nuit pour réaliser une boule qui ne se briserait pas. Mais, hélas, malgré tous ses soins, la boule se brisa. Très tôt le matin, ne voulant pas céder à ce coup du sort, elle se remit à l’ouvrage, fit tout ce qu’elle put pour réussir cette fois : la boule de mil ne se brisa pas. Alors, toute joyeuse, Halima vint la montrer à sa grand-mère.

Tu vois, grand-mère, la boule ne s’est pas brisée. Je peux donc épouser celui que j’aime en toute tranquillité.

Ma fille, dit la grand-mère qui connaissait bien le cœur humain et savait déjouer ses ruses, je t’ai entendu piler tard dans la nuit et puis, je te l’ai encore entendu faire très tôt ce matin ; la première boule était la seule qui vaille ; tu as donc triché, dit la grand-mère à sa petite fille pour qui elle craignait désormais le pire. Mais Halima était rayonnante et c’est dans l’allégresse générale qu’on célébra le mariage. Il y eut repas abondants, viandes et riz à volonté. Après une journée de festivités, on accompagna les jeunes mariés jusque derrière le village, en dansant au son des musiques les plus joyeuses.

A l’orée de la forêt, le jeune marié demanda aux gens du cortège de rentrer au village. Il conduisit ensuite Halima, la jeune épousée jusque dans une grotte où elle entra sans crainte. Mais, tout à coup, dans le clair-obscur des lieux, elle vit, effrayée, son beau mari se métamorphoser : ses jambes, ses bras et sa poitrine se réunissaient en une longue torsade écaillée, son regard devenait noir, froid et perçant tandis que son beau visage n’était plus qu’une gueule où deux crocs acérés laissaient passer une langue fourchue qui déjà la menaçait. Halima, prise de panique, voulut s’enfuir mais le génie-serpent l’entoura bien vite de ses anneaux visqueux, il la frôla de sa langue, lui insuffla son venin et la pauvre jeune fille fut, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, transformée en cheval dans un gémissement plaintif.

Un berger peuhl qui passait par là avec son troupeau et avait vu le couple pénétrer dans la grotte, entendit la plainte d’Halima. Du fourré où il était caché, il vit un magnifique cheval s’élancer hors de l’anfractuosité de la roche, suivi de près par un énorme serpent aux anneaux d’écaille colorés. Prudemment, quand les deux animaux se furent éloignés, le berger pénétra dans le creux obscur de la roche. Quand ses yeux se furent accoutumés à l’ombre, il comprit vite, en voyant les lieux vides de toute présence humaine qu’Halima avait été victime d’un horrible maléfice. Il courut avertir les habitants du village. Mais il était trop tard : la jeune fille entêtée n’était plus qu’une cavale sauvage que nul ne revit jamais et qui, sans doute, hante encore les confins de la brousse.

Voilà ce qui arrive aux enfants têtus qui veulent toujours satisfaire leurs rêves impossibles.





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