Les contes pour enfant du monde

Jean Batispte Poquelin



Dix heures approchaient. Il me restait cinq bonnes minutes pour me choisir une place confortable avant que ne débute le cours.
Matin d'hiver frileux où le soleil ne cesse de se battre pour déchirer les brumes. Rien ne servait de prendre la rangée du milieu, il faisait trop sombre pour que je puisse m'évader par la fenêtre et rêvasser à loisir.
Celle de droite, par contre, sous la fenêtre, près d'un radiateur douillet... Pas de doute, le dernier banc, la place des oubliés était inoccupée et s'offrait naturellement à moi. De sa voix sans émotion, Madame Trégon entama la partie : Aujourd'hui, Jean-Baptiste Poquelin.

Dieu du ciel, cela existe un tel prénom : Jean-Baptiste et en plus Poquelin, comme craquelin ou... Avec application, je calligraphiai l'identité du personnage. Mon esprit quittait définitivement la pièce, ma main délirait en toutes sortes de graffitis autour et aux alentours de Jean-Baptiste. La sonnerie retentit, annonçant le changement de cours. Je fus surprise combien cinquante minutes pouvaient passer très vite et je me promis dès le soir de rechercher et mettre ce cours en ordre. Ce que je ne fis pas, tant les retards pris dans d'autres matières étaient importants.

Pendant quatre mois, je ne fus pas inquiétée par Jean-Baptiste.

Au mois d'Avril, mon père décida de parfaire mon éducation. Il m'emmenait au théâtre. L'idée me séduisait. La petite de quatorze ans rentrerait à minuit, voire même une heure du matin, comme les grands.
L'endroit lui me conquit. Etes-vous déjà allés dans un théâtre ? Murs tendus de velours bleu, peintures un peu vieillottes au plafond, et çà et là de fausses bougies électriques qui tamisent une ambiance feutrée. Les acteurs sont de vrais humains, de chair et d'os, avec de vrais habits et de vraies voix, pas de simples ombres sur une toile blanche. Ne me demandez pas de vous raconter la pièce, je ne suis pas certaine d'avoir tout saisi. Dans les grandes largeurs :Don Juan, d'avoir trop butiné, se fait coincer par une énorme statue venue de l'au-delà. Il doit rendre des comptes pour ses affreuses ignominies ; Justice est faite. RIDEAU.
La lumière des fausses bougies réapparaît, les acteurs saluent, l'un d'eux présente ses compagnons au public.

Coup de théâtre : La pièce que nous avons eu la joie de vous interpréter ce soir est de Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière. Don Juan est joué par...

Le Jean-Baptiste de Madame Trégon, celui de l'hiver dernier, dans ce beau théâtre de velours bleu drapé ; Il existe vraiment.

Qu'attendez-vous ? Que je vous dise, là, de suite : J'ai eu tort. Il est un temps pour rêver, un autre pour écouter. Vous avez mille fois raison. Mais seuls, certains noms étranges que j'écoute me font rêver. Bien sûr, je suis plus disciplinée aujourd'hui, je sais qu'il faut ouvrir les aventures qui se cachent derrière ces noms.

Mais il m'arrive encore parfois, de les barbouiller de graffitis avant de les découvrir.





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