Les contes pour enfant du monde

Je me suis mis à lire aujourd'hui



Il était une fois une main qui courait sur le papier sans très bien savoir quelle force mystique ordonnait au stylo qu’elle enlaçait de tracer telle lettre, puis telle autre afin de former des mots qui s’enfilaient jusqu’à devenir des phrases.

J’étais tel un voyeur qui, retenant sa respiration saccadée, le cœur à tout rompre battant, attend avec impatience la suite d’une hérésiologie qui l’emporterait dans un fantasme jouissif. Et j’espérais que cette main mue par une imagination à l’éjaculation précoce m’apporte au plus tôt l’orgasme littéraire. Je voyais les doigts nerveusement agrippés au crayon bille, comme pour l’inciter à écrire plus vite, avant que de manquer d’encre ! Il fallait noircir cette page…

Et l’inspiration est une muse qui parfois s’amuse, mais qui use lorsqu’elle abuse d’artifices grossiers. Non pas que j’accuse. Je n’oserais désincarcérer la malédiction d’un tel anathème. Mais à écrire sans réfléchir, triomphe-t-on sans histoire ? Et voilà que vexée peut-être, soudain la muse, perdant la face, tourne le dos, montrant par là même son côté pile. Usé, le souffle de l’envolée s’en est allé. Se posera-t-il sur une autre feuille de papier ?

La main est immobile, quelques centimètres au-dessus de la page…Vraisemblablement un ambidextre s’en sortirait-il. Mais pour une personne gauchère et maladroite de surcroît, qu’en est-il ?

J’observais cette main levée, maintenant plus main courante mais maintenant toujours le stylo, il restait encore de l’encre. Et l’autre, car c’est bien de mon autre qu’il s’agit, s’agitait et commençait à désespérer et rageait de ne pouvoir jurer, c’était la main gauche, et nous avons en commun la détestation de la grossièreté. Il lui fallait trouver une suite. Moi, j’avais de la suite dans les idées, dont celle particulièrement agréablement vengeresse de le laisser se dépatouiller. On n’est pas mon autre impunément. Il faut s’affirmer. Chacun son tour de montrer sa souplesse d’esprit et de prendre son courage à deux mains pour effectuer des pieds de nez, afin de s’en tirer par une pirouette. Dans ce combat sans merci, corps à corps, âme contre âme, à armes égales, on vend cher notre chair, nous le savons bien tous deux. Et du caractère, il en faut pour imprimer quand on se fait un sang d’encre et que l’on est déprimé !

Et j’ai côtoyé par pensées interposées, un certain Pascal, qui n’est pas une commère, grands mercis, parce qu’ayant l’intuition de cette dualité m’habitant, mais qui souffla à l’autre l’explication du stylo impatient de répandre son fluide sur le support vierge. « Toute variation de pression en un point d’un liquide en équilibre est transmise intégralement à tous les autres points du liquide ». La solution était donc là ! Il lui suffisait de poser le réservoir d’encre et la main réitérerait ses arabesques ! Conséquemment l’autre en fit ainsi, mais point n’avançait le récit. Tout cela était d’un burlesque, d’un grotesque, d’un rocambolesque !

Et la muse s’amuse…Un stylo, une feuille, un sujet, et vogue la galère. Et tout ça pour rien. Rien à perdre, rien à gagner. Piraterie que cette galère ! Et dans ce vaisseau sans gain qui commençait à couler, à cause de cet autre qui par un coup de sang tentait de nous saborder, nous étions à présent deux à ramer. Sans avancer d’une virgule, ni même d’un point, comme en suspension ! L’autre largué, par la sueur de l’intense réflexion mouillé tel un rat d’eau, et moi, par la bitte encore amarré à la muse. Et pourtant il fallait se déchaîner pour enchaîner.

C’est à ce moment là que ma main droite, tout à coup devenue adroite, stoppa la gauche de l’autre, qui voulait froisser en boule le papier et l’envoyer au panier, comme un basketteur se débarrasse du ballon, histoire de terrasser l’adversaire. J’étais soudainement devenu ambidextre et la lutte finale fut terrible. Mais je l’ai déjà dit, entre lui et moi, chacun son tour de dominer. Et mieux inspiré ce soir là, en effet, j’eus gain de cause. Et de cause à effet, effondrés, nous nous réfugiâmes dans les bras de Morphée, sans même songer à la Félicité.

Pourtant toute cette fable pour ne rien dire m’empêcha de bien dormir. Je tournais, tournaillais, tournicotais, pivotais, virevoltais, virevoussais, m’étouffais entre les draps, il tentait encore de tirer la couverture à lui. Entre deux étapes de sommeil je cogitai qu’en définitive ma dualité a un avantage indéniable : on ne peut m’accuser de nombrilisme !

Et il était zéro heure une sur l’horloge, lorsque je me suis mis à lire aujourd’hui ce que nous avions écrit hier.

Tout compte fait, je l’aime bien mon autre. Et comme à un frère et aussi à moi, restons solidaires, veux-tu, nous dis-je.





Conte imprimé sur http://www.contes.biz