Les contes pour enfant du monde

Le lapin de Paques





On les menait toujours chercher les oeufs de Pâques dans la forêt, une grande forêt où les pins parlaient. C'était le vent de mars ou d'avril, mais il y avait de véritables paroles qui se glissaient entre les branches comme au travers de bouches vivantes.
Les enfants écoutaient en pensant à toutes sortes de choses : à la mer où s'en allait le fleuve proche, aux oiseaux dont ils trouvaient parfois un nid à terre. Et surtout, ce jour-là, aux paniers remplis d'oeufs teints, de chocolats et de bonbons qui leur étaient destinés.


Je crois qu'ils ne pensaient pas du tout au Lapin de Pâques.
Ils savaient très bien que c'était leurs parents qui cachaient pour eux, dans les bruyères et les genièvres, ces douceurs qui invariablement se mangeaient.

Moi, je voudrais avoir un lièvre en massepain ... disait un des garçons.
Moi, un immense oeuf en nougat avec la ligne de sucre autour.
Et moi, une poule noire avec un parasol japonais, comme j'en ai vu en vitrine ! s'écria leur soeur en bâillant, car elle s'était levée de bonne heure.



On les laissa jouer un moment. Discrets, sans trop regarder autour d'eux, ils se prêtèrent d'aimable grâce au rite de Pâques. Les parents s'étaient un peu éloignés; à des bruits de branchages, les enfants devinaient leurs allées et venues.

Cherchez, cherchez ! appelèrent les parents.
Et ils se mirent à chercher.
J'ai trouvé ! s'exclama le plus jeune des frères.
Il arracha d'entre les mousses un carton fleuri et lourd de friandises.

Un ici ! dit l'autre, en cueillant un oeuf du plus beau rouge, posé à même le sol sur les aiguilles de pin.
Un autre là !

Une étrange exaltation les gagnait. Cette forêt sauvage, offrant comme des bijoux ses présents de Pâques se magnifiait à leurs yeux. Le geste des parents n'existait plus. La forêt redevenait ce qu'elle était autrefois , le lieu de toutes les possibilités, le lieu des pièges, des mirages et des envoûtements.
Et la soeur aînée, qui errait à la recherche de son panier, dépassa le zone réservée aux enfants ce jour-là.
Elle arriva sans bien s'en rendre compte dans un fourré où les arbres s'enchevêtraient. Mais elle découvrit un passage sous leurs ramures et s'engouffra dans un tunnel de petites branches sèches. Derrière elle, la forêt se referma; elle n'en éprouva aucune inquiétude et poursuivit sa marche, tête baissée.
Elle fut bientôt dans une clairière et rencontra un lapin qui se tenait debout sur ses deux pattes de derrière, et qui était revêtu d'un pantalon vert aux bretelles tyroliennes.


"A vrai dire, pensa-t-elle sans trop de surprise, on dirait le Lapin de Pâques."
Vous me reconnaissez ? dit-il d'un ton assez fat.
Oh ! oui. Du moins vous en avez l'air ....ajouta-t-elle, incrédule.

Il ne daigna pas relever ces derniers mots et lui fit signe de le suivre. Ils débouchèrent dans une autre clairière au milieu de laquelle s'élevaient deux tas d'oeufs. L'un des tas était blanc et l'autre de toutes les couleurs. De plusieurs pots de peinture bleue, rouge, jaune, violette, surgissaient des pinceaux aux longs poils.

Mais ... murmura la fillette déconcertée. Nous, à la maison, on ne les peint pas les oeufs, on les fait rouler dans une teinture, c'est bien plus simple, et même on peut leur donner une très jolie couleur rousse avec du jus d'oignon. Ensuite on les frotte avec un morceau de lard pour les vernir. Oh ! qu'ils deviennent beaux !

Le Lapin fronça les sourcils :
Vous n'allez pas me faire la leçon ! Je connais mon métier.
Je n'ai pas voulu vous offenser, s'excusa-t-elle un peu confuse
Pourtant elle remarqua :
Mais enfin pourquoi nos parents s'en occupent-ils alors ?
Pourquoi vend-t-on dans les magasins ces petits cornets avec de la poudre de couleur dedans ? et de votre portrait dessus ?
Vous êtes une sotte ! fit le Lapin vexé.

Ses petites joues se gonflaient de colère et ses moustaches frémissaient . Elle ressentit de la pitié pour lui et tenta de l'apaiser :


Je ne veux pas dire que vous êtes inutile, que vous ne servez plus à rien, non, non ! affirmait-elle de plus en plus maladroite. Puis elle s'arrêta net en voyant une larme couler de l'oeil gauche du Lapin
Notre temps est fini ... soupira-t-il.
Et il laissa pendre misérablement ses deux oreilles.
Je veux vous aider, voulez-vous ?
Oui, oui .... Mais il avait perdu tout entrain.

Elle s'avança vers le tas d'oeufs encore blancs et se baissa pour en prendre un.
A ce moment-là, elle entendit qu'on l'appelait. Elle s'éveilla.
Au-dessus d'elle, les ramures des pins griffonnaient le ciel bleu. A ces côtés, un panier de Pâques pouvait à peine contenir la poule noire au parasol japonais et un grand lapin en chocolat affublé de culottes tyroliennes. Il ressemblait trait pour trait à celui de son rêve. Mais elle s'aperçut que ses pauvres oreilles avaient eu le temps de fondre au soleil.

Oui, c'est bien lui que j'ai rencontré en dormant, dit-elle à voix haute

Avant de rejoindre ses frères, elle tourna la tête vers les fonds mystérieux de la forêt aux troncs serrés et fut très troublée d'y voir courir une ombre rapide, vêtue de culottes vertes.
Mais alors ?...
Le Lapin de Pâques l'avait-il épié dans son sommeil ?
Avait-il voulu voir de près sa statue ?
Celle que les hommes sculptent dans une pâte brunâtre au parfum de cacao.





Conte imprimé sur http://www.contes.biz