Les contes pour enfant du monde

Les vacances de Pierre

Un conte de Micheline Boland

L’année scolaire sera terminée dans quelques jours. Les autres enfants parlent de plages, de voyages, de sommets enneigés, de stages sportifs ou créatifs, de parcs d’attraction, de châteaux de sable. Pierre, lui, demeure silencieux. Il en vient peu à peu à envier ses camarades. Ce n’est pas qu’il ait vraiment envie de partir, c’est plutôt qu’il a envie d’avoir des projets intéressants, de se projeter comme eux dans un avenir passionnant, de pouvoir intervenir dans leur conversation.

Pierre se sent différent de la plupart d’entre eux avec ses vêtements de seconde main, son matériel scolaire démodé, ses chaussures usées.

Ainsi, à quelques jours des congés, Pierre se met à envier ses compagnons de classe. Il n’en souffle pourtant mot à personne. Surtout pas à sa mère qui vit seule avec lui et fait des petits boulots pour assurer leur subsistance.

Ce dernier mercredi après-midi de l’année scolaire, parce que sa mère lui a dit : "Tu t’es sali le bout du nez", Pierre se regarde dans le grand miroir accroché dans la salle à manger. Il passe l’index sur son nez et la trace grisâtre disparaît aussitôt. Pierre s’apprête à aller jouer au jardin lorsque son regard est attiré par les oiseaux qui apparaissent dans le miroir. De superbes oiseaux. Des oiseaux multicolores au vol majestueux. Puis ce sont des hiboux et des chouettes qui, dignes et mystérieux, passent dans le miroir.

"Viens m’aider, Pierre".

Pierre obéit. Il quitte le miroir aux oiseaux, il va aider sa mère à replier des draps de lit.

"Tu es resté un temps fou pour te débarrasser de cette trace sur le nez. Ce que tu peux être lent parfois !"

Sa mère ne le gronde pas, elle sourit. Elle le taquine un peu. Elle a une voix si douce quand elle s’adresse à lui.

Lorsque les draps de lit sont repliés, Pierre part au jardin. Il y rêvasse. Il y observe les insectes, les moineaux, les fleurs. Ils lui semblent bien plus beaux qu’auparavant. Il se dit que durant les vacances, il ira emprunter des livres relatifs aux animaux à la bibliothèque communale.

Le lendemain à l’école, durant la récré, on parle encore de promenades en mer, de balades en montagne, de visites touristiques, de rencontres familiales, d’activités plus captivantes les unes que les autres. Soudain, Christophe se tourne vers Pierre. Il l’interroge : "Et toi où vas-tu ? Tu vas peut-être à la plaine ?"

"Hum, non. Ma mère a gagné plusieurs entrées pour le zoo. Elle compte m’y emmener plusieurs fois. Elle dit qu’il y a tant à voir..." Pierre ment bien sûr. Mais il ne rougit pas, il ne pâlit pas, il ne tremble pas. Il n’a jamais semblé aussi sûr de lui et aussi content.

"C’est bien aussi..." Christophe est pris de court, il ne s’attendait pas à une telle réponse. Il ne met cependant pas en doute les propos de Pierre. Il parle de nouveau de ses propres vacances, au soleil du sud avec ses parents, son frère et des amis.

Ce jour-là, quand il rentre de l’école, Pierre est seul à la maison. Sa mère ne rentrera pas avant une heure. Alors, avant même de manger la tartine que sa mère a préparée pour son goûter, il va se regarder dans le miroir. Il aplatit du plat de la main puis des doigts une mèche de cheveux qui rebique. Il est prêt à prendre son goûter quand il aperçoit des lémuriens dans le grand miroir. Ils font mille cabrioles dans un cadre enchanteur constitué d’arbustes et de lianes. Pierre ne se lasse pas du spectacle.

"Bonjour, Pierre. Ça va ? As-tu mangé ta tartine ?" Sa mère est là. Pierre quitte le miroir. Une heure s’est écoulée sans qu’il s’en soit rendu compte.

"Je n’avais pas faim, maman. J’avais trop chaud. Je t’ai attendue dans la salle à manger en pensant aux livres que j’irai chercher la semaine prochaine à la bibliothèque."

Le miroir, Pierre n’en parle pas à sa mère. Le miroir, c’est son secret. Le miroir, c’est le cadre fantastique où surgit le merveilleux. Le miroir, ce sera son meilleur compagnon d’évasion...

En septembre, à son retour de vacances, Pierre n’a pas son pareil dans toute la classe, pour décrire le comportement des animaux. Évidemment, il a lu bien des livres de la bibliothèque. Il a également beaucoup appris des rencontres qu’il a réalisées grâce au miroir.





Conte imprimé sur http://www.contes.biz