Les contes pour enfant du monde

Le souvenir



"D'abord je sentis comme un picotement du côté de ma cuisse droite. Ensuite, une forte douleur me fit me tordre en deux. J'étais très fatigué, j'avais soif, et un soleil brûlant m'aveuglait. Des mouches et des guèpes bourdonnaient autour de moi, je ne pouvais plus faire un geste, et tous mes sens étaient troublés.
Je ne pourrais dire si j'étais debout ou couché lorsque cela m'arriva, mais je me souviens très bien que je fus traîné sur le sol d'une façon assez soudaine sans pouvoir opposer la moindre résistance. Mon coeur battait très fort dans ma poitrine et jusque dans mes tempes. J'étais balancé dans tous les sens, et parfois j'avais l'impression que quelqu'un soulevait mon corps. J'avais l'estomac vide, mais mon ventre gargouillait. Bientôt, j'eus envie de vomir.
J'aurais dû éprouver une très grande peur, mais je me rendais tellement peu compte de ce qui m'arrivait, et les choses allaient tellement vite, que je ne ressentais qu'une angoisse indistincte dont je ne parvenais pas encore à déterminer la cause. Un certain nombre de pensées assez confuses se bousculaient dans ma tête. Je voyais notamment l'image d'une femme que je ne connaissais pas. Elle était belle, mais semblait très triste. Je n'arrivais pas à me souvenir si j'étais marié. Je voyais aussi des images d'endroits qui m'avaient sans doute été familiers, mais tout restait vague. J'avais l'impression qu'une voix inconnue me disait que cette fois j'avais tout perdu, et que je ne me relèverais pas. J'étais couvert de sueur, de sang, et de poussière. J'entendais des bruits d'armes qui s'entrechoquent, et des cris parmi lesquels je ne distinguais que quelques bribes de paroles.
Soudain, les douleurs devinrent plus vives. Je sentis quelque chose pénétrer dans mon ventre, et un frisson glacé traversa mon corps des tempes à la pointe des pieds. J'ai dû beaucoup crier, mais je ne m'en souviens pas. Je me sentais faiblir. Une odeur de chait ouverte me montait dans les narines, j'étais sur le point de suffoquer et de perdre connaissance. Je savais qu'il n'y avait plus rien à espérer, et je me laissais faire. Je sentais un étrange souffle sur ma peau nue.
Tout d'un coup, je me souvins que j'étais gladiateur, et qu'un tigre était occupé à me dévorer."



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