Les contes pour enfant du monde

Les korrigans



A Riantec, il y avait autrefois une veuve qui avait un fils. Tous deux vivaient pauvrement, et ils étaient obligés de tirer la charrue à tour de rôle parce qu'ils n'avaient pas assez d'argent pour acheter une paire de boeufs. Néanmoins, la veuve tirait parti de tout ce qu'elle pouvait et sa cabane était tenue très proprement. On ne tarissait pas d'éloges sur elle, dans le pays, et on aurait bien voulu qu'elle se tirât d'affaire. Malheureusement, les temps étaient rudes alors, et personne ne pouvait les aider autrement qu'en leur donnant parfois du pain et quelques galettes de blé noir. Cela n'empêchait pas le fils d'être un beau garçon courageux au travail.

Or, une nuit, la veuve eut un songe : elle se vit dans une grande forêt à la poursuite d'un attelage tiré par deux boeufs blancs et noirs. Au bout d'une course épuisante, elle parvenait enfin à rattraper l'attelage et elle le ramenait à la maison. Elle fut très impressionnée par ce rêve, et, le matin, elle dit à son fils :

- Allons à la foire d'Hennebont pour y chercher une paire de boeufs.

- Mais, ma mère, répondit le fils, nous n'avons pas le moindre argent !

- Cela ne fait rien, dit-elle, je sais que j'en trouverai.

Ils partirent donc pour la foire d'Hennebont. Ils marchaient d'un pas rapide et, à la croisée de trois chemins, ils virent un petit homme sortir de dessous la terre et venir vers eux.

- Où allez-vous comme cela ? demanda le petit homme.

- À la foire, à Hennebont, répondit le fils, pour acheter une paire de boeufs. Mais nous n'avons pas d'argent pour payer.

- Si vous descendez avec moi dans ce trou, dit le petit homme, et si vous savez vous comporter comme il faut, je vous garantis que vous ne manquerez de rien.

Ils suivirent le petit homme et s'engagèrent dans un trou, au milieu d'un buisson. Le trou leur paraissait bien trop petit pour eux, mais quand ils descendirent, ils ne sentirent aucun gêne. Ils furent alors saisis d'étonnement, car ils se trouvaient dans une grande maison remplie d'enfants qui n'étaient pas plus grands qu'un sabot de bois. C'étaient tous des korrigans. On leur dit que le père était très malade et sur le point de mourir, mais que s'ils connaissaient quelque remède, ils en seraient récompensés largement. La veuve réfléchit et demanda qu'on allât lui chercher des herbes. Les korrigans sortirent et revinrent peu après, apportant ce que la femme avait demandé. Alors elle confectionna des tisanes et les fit boire au malade. Celui-ci commença à se sentir mieux.

- Si vous sauvez mon mari, leur dit la mère des korrigans, vous ne manquerez jamais plus de rien.

Ils restèrent là trois jours et trois nuits à soigner le père des korrigans, mais ils ne trouvaient pas le temps long et s'imaginaient être là seulement depuis trois heures. Le père des korrigans fut bientôt guéri. Il dit à la veuve et à son fils :

- Venez avec mon épouse et moi-même. Nous vous donnerons une maison et tout ce qu'il faut pour bien y vivre.

Ils arrivèrent à un grand bois dont les arbres n'avaient pas été élagués depuis bien longtemps. Le korrigan se dirigea vers une grosse pierre que, malgré sa petite taille, il souleva sans difficulté. Il y avait là un trou, très profond, mais très étroit, comme celui que la veuve et son fils avaient emprunté pour aller chez les korrigans. Le petit homme leur demanda d'y pénétrer.

Ils descendirent et furent bien étonnés de ce qu'ils voyaient : il y avait là une grande maison, avec de beaux meubles et de la vaisselle abondante, et de bons lits avec des couvertures. Par la fenêtre, on voyait une prairie bien verte, avec des vaches et des boeufs qui paissaient.

- Tout cela est à vous, dit le père des korrigans. Vous mérité puisque vous m'avez sauvé la vie. Mais je dois vous avertir qu'un grave danger vous menace. Dans huit jours, quelqu'un viendra ici. C'est mon père. Il est vieux et très méchant. Il viendra ici pour vous effrayer et tenter de vous chasser. Si vous refusez de partir, il vous tuera après avoir prononcé contre vous toutes sortes de malédictions. Mais je vais vous dire ce qu'il faut faire. Quand vous l'entendrez arriver, que la mère se place au pied du lit tandis que le fils se cachera dessous. Mon père aura un énorme couteau et un revolver à sept coups, mais quand il tirera, jetez-vous par terre et il ne pourra vous atteindre. Il essaiera alors de vous tuer avec son couteau et c'est alors que votre fils

interviendra. Mais, je vous l'assure, s'il vous attrape, il vous tuera.

La huitième nuit, la mère et le fils entendirent un grand bruit et commencèrent à trembler. Ils virent le vieux korrigan qui tempêtait et jurait.

- Ah ! criait-il, je vous vois et vous êtes à moi !

Il les pousuivait l'un et l'autre. La mère se plaça au pied du lit tandis que le fils se cachait dessous. Il tira sept coups de revolver, mais la veuve s'était jetée par terre et elle ne fut pas atteinte. Alors, le vieux korrigan brandit son couteau, qui était presque aussi grand que lui-même, et se précipita vers la pauvre femme. Mais, à ce moment, le fils sortit de dessous le lit et lui coupa la tête. Alors, à ce même moment, arrivèrent des korrigans en grand nombre, ils étaient sûrement plus d'une centaine. Ils riaient et dansaient de joie en répétant :

- Que s'est-il donc passé ici ? Que de plaisir nous allons avoir ! Il est mort, le barbare, le cruel qui nous tyrannisait ! Nous allons faire la fête. Nous danserons et nous planterons un arbre en signe de notre liberté.

Et les korrigans manifestaient bruyamment leur joie. Quant à la veuve et son fils, ils vécurent tranquillement dans la maison que leur avaient donnée les korrigans, et ils ne manquèrent jamais de rien.





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